Le cheval est l’animal le plus représenté de l’histoire de l’art, il est même l’un des premiers à trouver sa place sur les parois des grottes préhistoriques.
Il a le privilège d’avoir une place sur tous les supports ; de l’art pariétal, aux sculptures, peintures, gravures… Et il a assisté à tous nos plus grands événements historiques sous la selle des grands Hommes et des grandes Femmes de l’Histoire.
Moments joyeux : sacres, fêtes, honneurs, voyages, courses, chasses ou moments tragiques : conflits, charges, exode, il était aux cotés des Hommes. Mais aussi dans leurs croyances, religions et symboles.
"Le cheval : la plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats" Buffon
Depuis la grotte Chauvet (-35000 ans) et la grotte de Lascaux, il orne les murs des abris des Hommes, on ne sait d’ailleurs pas exactement pourquoi il y est si souvent représenté, animal chassé ou animal chamanique. Il n’est pas encore domestiqué à l’époque. Il est parmi le bestiaire de toutes les grottes ornées quel que soit le lieu et devait donc être très important dans le quotidien des premiers hommes.
Toujours proche de ces derniers, il les suit jusqu’à devenir un animal domestique il y a environ 10 000 ans.
Grotte de Lascaux
Il accompagne alors les anciennes civilisations : attelé dès les Assyriens, puis les Sumériens, les Perses, les Égyptiens et les Étrusques. Il accompagne déjà les personnages de haut rang et se trouve au côté des pharaons sur les bas-reliefs, les temples et dans leurs tombes.
Les Grecs seront les premiers à travailler sur l’anatomie de l’animal artistique notamment avec les frises du Parthénon : l’animal a alors des veines, des muscles, des sabots. Ils lui donnent une symbolique plus importante, il côtoie les Dieux de l’Olympe sous le nom de Pégase et se pare d’ailes. L’animal non déifié lui, sera représenté chez les Grecs, et pour un bon moment encore, sous la maîtrise de l’homme, jamais libre, jamais seul. Il n’existe que pour le servir.
Chez les Romains, on le trouve souvent disproportionné par rapport à son « humain », bien trop petit, en soumission. Prenons pour exemple cette statue de Marc Aurèle à Rome.
Statue de Marc Aurèle, Rome
Ou autres exemples que vous connaissez bien pour les Parisiens les chevaux de Lysippe datant du 2e siècle, dont une copie est aujourd’hui sur l’arc du Carrousel - carrousel ? Encore une histoire de chevaux- du jardin des Tuileries. (Empruntés par Napoléon à Venise, placés là, puis rendus à Venise, nous avons désormais ces copies)
Chevaux de Lysippe, Carrousel des Tuileries
A l’autre bout du monde en Chine, les chevaux de terre accompagnent leurs soldats dans l’armée éternelle. Cette image du cheval qui suit l’homme par-delà la mort est aussi présente chez les Égyptiens, les Celtes et d’autres peuples du Nord. L’animal appartient à son maître, combien d’entre eux même plus récemment seront abattus à la mort de leur illustre cavalier.
Au Moyen Age, il est intéressant de noter qu’il est extrêmement rare dans l’héraldique, on l’estime à moins de 3 pour cent des blasons. Et ce cheval moyenâgeux est toujours monté ou harnaché, toujours domestiqué.
Ce n’est pas l’animal qui intéresse l’artiste mais son cavalier ou « cheval-ier ». Vous me direz, ce n’est pas l’animal qui commande l’œuvre non plus…
Regardez ces nobles à la bataille de Hasting, sur la tapisserie de Bayeux, peut-être une des seules exceptions, des chevaux non harnachés sont montrés montant dans les embarcations pour traverser la Manche, nous sommes alors dans le souci historique. L’artiste relate l’organisation qui permet la bataille, puis la victoire. L'image est si discrète que je l'ai pas retrouvée. Il n'en demeure pas moins que presque tous les autres chevaux brodés sont avec leur cavalier.
Tapisserie de Bayeux
Comme dit J. Mistler : « Le cheval joue dans l’histoire le rôle d’un piédestal qui se déplacerait ».
Et si ledit animal est associé à une dame alors il se « transforme » en animal mythique, il ne peut-être juste animal… La licorne le remplace, symbole de virginité, de pureté et d’instinct féminin. Blanche il va sans dire…
Blanc ou Gris, comme le cheval de Saint Georges, il faut bien cela pour terrasser un dragon ! Gare au cavalier noir dans la symbolique, il vient pour en découdre ou pour donner des émois aux dames lors des tournois !
Raphael, saint Georges terrassant le Dragon
Un peu d’embonpoint aide aussi pour ce cheval de Raphael, on est loin du cheval gracile…
Enfin, ceci s’explique aisément, n’oublions pas que les modèles de chevaux ont bien changé, il fallait de solides animaux pour porter un homme en armure.
Les chevaux légers que nous connaissons aujourd’hui n’étaient pas adaptés à ce type de guerre « lourde » dont le but consistait en une charge de cavalerie courte, organisée et en armure. Les petits chevaux légers seront prisés beaucoup plus tard pour des guerres de mouvement, presque sans équipement.
La statue équestre devient un exercice de style pour les sculpteurs de la Renaissance.
Le plus gros projet jamais envisagé revient à Léonard de Vinci, grand admirateur de chevaux (et d’animaux en général), il en étudia des dizaines, sous toutes les coutures, utilisant la croupe de l’un, la jambe de l’autre, l’encolure d’un troisième afin de créer son cheval parfait. La statue n’ayant jamais vu le jour, il ne nous reste que ces esquisses passionnantes. Son intérêt pour l'animal a fait de lui un précurseur.
Esquisse de Léonard de Vinci
N’oublions pas d’utiliser un vocabulaire humain pour les chevaux, ils sont parés d’une robe, ils ont des jambes, des joues, des coudes, des pieds, un nez !
Il faudra attendre le 17e et le 18e siècle avant de voir naître l’art équestre français, grandement grâce aux souverains, le cheval étant un animal d’apparat autant travailler son style, et s’il est cheval de guerre alors autant être efficace une fois sur son dos…
Deux excellentes raisons d’éduquer, de muscler, de rendre léger et sûr cet animal royal. De grands noms s’y emploient et inventent l’équitation à la Française dans les écuries de Versailles, de Chantilly ou de Fontainebleau, citons La Guérinière (Mais si... l'épaule en dedans...) ou l'Hotte ("Calme droit et en avant").
La suite artistique en découle et les chevaux servent à mettre en valeur leur « humain » sur les portraits équestres, en peinture cette fois ou sur les scènes de chasse. L’homme étant toujours cette puissante espèce mettant les animaux, du plus domestiqué au plus sauvage à sa « botte » -de Cheval-.
Ce dernier est de préférence blanc et met en valeur les qualités des humains : la bonté, la majesté, la force, le courage et la royauté !
Ce n’est pas un hasard si les statues équestres ont fait partie des premières déboulonnées à la Révolution. Celui qui domestique l’animal domestiquerait-il l’homme par la même occasion ?
Rubens, Velasquez, Van Dyck seront précurseurs du style, suivis par tous les peintres de cour d’Europe. Pour les autres peintres le sujet est un art mineur, ne leur donnant aucune chance d’être repéré ou d’effectuer une belle vente, voila pourquoi cet animal finalement si proche et visible quotidiennement se fait assez discret comme thème en soi sur les œuvres. Il fait juste partie du décor de la scène mythologique ou de bataille mais n’en est pas le sujet.
De plus il était préférable d’être cavalier pour peindre un cheval, et c’était assez rare chez les peintres.
Louis 14, René Antoine Houasse, 1674
C’est lentement et très timidement que vient du Nord, de l’école flamande une peinture dite « animalière », elle se nourrira de la recherche de réalisme de la fin du 18e et de tout le 19e. Passant les frontières, de Paulus Potter à Barye…
Le cheval Pie de Paulus Potter, 1654
Le cheval devient l’égal de son cavalier puis un sujet à part entière, parfois même c’est son cavalier qui s’efface face à sa majesté propre. Admirons ce splendide tableau en taille réelle de Stubbs visible à Londres.
WhitsleJacket, 1762, Stubbs.
Il faut dire que l’époque s’y prête, jamais l’art équestre, l’élevage, les courses, la chasse n’ont eu autant le vent en poupe qu’avec l’avènement et l’épanouissement de la bourgeoisie du 19e.
Il est alors outil de labour, ou paissant au pré dans sa version champêtre.
En guerre, il porte les hommes vers des contrées exotiques, c’est alors qu’on découvre des races de chevaux différentes. Comme le cheval arabe, favori de Napoléon, son célèbre Vizir devient une star, il est toujours visible, empaillé, et pas forcément à son avantage aux Invalides.
Napoléon par Jean Louis Ernest Meissonnier sur Vizir en 1814
Vizir empaillé au musée des Invalides
Moins à son avantage je vous disais, désolé pour lui...
Dans les très chics jardins parisiens, les poneys sont compagnons des enfants de la bonne société.
La conquête de l’ouest, lui donne le statut jamais oublié de monture du cow-boy ! Et les tableaux de Frederic Remington le célèbre en ce sens. Le cowboy sera solitaire mais grâce à sa monture jamais vraiment seul.
Et dans Paris la compagnie des omnibus compte des milliers de chevaux. La ville vit avec le cheval, ses sabots sur la chaussée, et son odeur font partie du quotidien, c'est son absence qui choque les contemporains. Comme le dit Alphonse Allais : « La première chose qui frappe l’odorat du voyageur arrivant à Venise, c’est l’absence totale de parfum de crottin de cheval ».
On le retrouve sous la selle des douces amazones d’Alfred de Dreux, ce ne sont plus des espagnols dodus mais de graciles Pur-sangs.
"La plus noble conquête du cheval c'est la femme" A. Jarry ...
Mouai...Donc le cheval est la conquête de l’homme... la femme la conquête du cheval...
Mesdames on baisse dans le classement ! Et notre situation risque d’empirer encore après mon article sur les chiens dans l'art...
Le cheval peint ne doit-il pas exprimer au fil des siècles les qualités de celui qui le monte ? A méditer chers cavaliers…
Alfred de Dreux, Amazone au bois de Boulogne
Les premiers « photographes » se tourneront vers lui, si présent au quotidien, pour étudier le galop, le mouvement et la vitesse.
Le XXe siècle, le met à l’égal de l’homme dans l’art. Enfin !
Le problème c’est que c’est plutôt dans leur souffrance que l’homme et le cheval se retrouvent, et le plus souvent sur les champs de bataille. Ils sont l’un comme l’autres devenus chair à canon. Encore une fois il suit son époque. C’est le réalisme cru de sa condition qui intéresse les artistes, le meilleur exemple pour moi est le célébrissime Guernica de Picasso.
Picasso, Guernica, 1937
Le cheval a dans l’inconscient collectif un statut à part. Symbole du lien avec la nature, nature dominée par l’homme. Mais aussi de l’instinct et de la liberté.
Chez les peuples anciens, on dit qu’il nage ou vole.
Divinité de la terre, de l’eau et de l’air à la fois. Il est l’attribut de Poséidon, crée par son trident. Aussi léger qu’un oiseau sous les traits de Pégase. Il tire le char du Soleil d’Apollon et apporte la lumière sur le monde.
Bayard cheval-fée légendaire a le don de trouver des sources et les faire jaillir d’un coup de sabot !
Selon qu’il soit mâle ou femelle…
Le mâle est fort, rapide, sa course peut mener à la folie et l’oubli de soi, symbolique hautement érotique du Centaure non contrôlé. Centaure qui lorsqu’il est en harmonie mélange à la perfection le mental de l’homme et la force de l’animal.
La jument, c’est Epona chez les Celtes, celle qui porte l’homme, la déesse mère. Manger sa viande en sacrifice transmettra sa force créatrice et sa fertilité à une future mère et cela depuis le 1er siècle… Cela ne vous rappelle rien ? Khalessi ? Rien de neuf dans Game of Thrones, ni dans le discours des grands-mères « Si tu es fatigué : mange du cheval, ça donne de la force ». "Avoir mangé du cheval"...
L’animal est l’essence de l’idée de voyage, des grands espaces, de liberté.
C’est certainement pour cela que malgré l’invention du moteur, il reste présent dans notre quotidien à travers la publicité, les magazines, le spectacle, les affiches.
Il y a tant à dire…
A bientot, Céline
Merci Céline pour cet hommage à nos chevaux tant aimés. Sublimes aussi les 4 chevaux de la Grotte Chauvet.
On se prend à caresser le poil épais de celui du haut. On admire le port de tête du deuxième. On croît reconnaître un poulain en troisième position (?) On entend hennir celui du bas. On devine combien nos ancêtres admiraient cet animal à part. Insaisissable et beau !
C'est bien l'image d'un être admiré, aimé :-) On ne se donne pas tant de mal, de journées de travail, sans vouloir dire quelque chose de lui, sur lui !